Baptiste Morizot : « Manières d’être vivant »

« Car ce que nous force à penser la crise écologique, ce n’est pas le retour d’une Nature qui dicte leurs lois aux humains, comme dans le mythe moderne dont la démocratie moderne revendique de s’être émancipée. Il s’agit de tout autre chose : c’est l’appel des interdépendances qui indiquent ses limites à la gamme des possibles que le collectif démocratique humain peut explorer. Les limites écologiques ne sont pas des contraintes extérieures au politique humain, mais les lignes de vie intérieures qui dessinent notre condition humaine de tissé : tissé aux autres formes de vie qui composent le milieu, dans un ubuntu des vivants. » (p. 274)

Le début du livre nous fait accompagner Baptiste Morizot pistant les loups sur le terrain. J’ai trouvé cela un peu laborieux, sans doute parce que je ne comprenais pas où il voulait en venir ; et puis il y a toujours un temps d’adaptation à l’écriture d’un auteur.

Puis arrive le passage où il commence à parler du masque des loups. Où comment ces motifs sur le visage des loups, designés par l’évolution, ont pour fonction (entre autres) de rehausser leur mimiques faciales lorsqu’ils communiquent visuellement entre eux.

Les acteurs font de même lorsqu’ils se maquillent pour rehausser les expressions de leur visage et ainsi mieux communiquer les émotions au public.

Les loups communiquent également entre eux par des odeurs, des gestes et des postures, des vocalises. 

Et rien qu’un seul regard, profond, appuyé, peut être signifiant pour un congénère.

Mais lorsque les loups hurlent ensemble, ils communiquent au-delà de leur propre meute. Ils communiquent vers les loups d’autres meutes. Et, finalement, vers tous les animaux capables de les entendre, dont les humains.

Que cherchent-ils à signifier lorsque toute la meute hurle ainsi en chœur ?

À partir de ce passage, je n’ai plus pu lâcher ce livre passionnant. 

Il faut dire qu’à partir de ce passage, on glisse doucement dans la philosophie (que j’ai étudié pendant 5 ans à l’université ; ceci expliquant peut-être cela). Il s’agit bien de philosophie puisqu’on y forge des concepts.

Le point fort du livre de Baptiste Morizot, c’est qu’il dépasse les clichés habituels en prenant de la hauteur.

Tout d’abord, il « debunke » le concept de « Nature », concept moderne, pauvre, terriblement dualiste, manichéen et anthropocentré. Car finalement, parler de la « Nature » c’est parler de l’être humain en tant que création divine pour qui la dite « Nature » n’est qu’une ressource dans laquelle piocher, une ressource à exploiter :

« Car, comme le disent Patel et Moore, « la Nature n’est pas une chose, mais une façon d’organiser – et de cheapiser – la vie ». Dans ces conditions, il est ambigu d’affirmer que « nous sommes la nature qui se défend ». Nous sommes le vivant qui se défend – y compris contre sa conversion en « Nature ». » (p. 265)

Ou sur le schisme stérile de l’écologie politique :

« Aujourd’hui, il y a dans le champ de l’écologie politique un clivage entre les tenants de la négociation et ceux des conflits. Je crois que les positions monolithiques sur cette question, celle des pro-luttes qui assimilent toute négociation à une compromission avec le « système », celle des réformateurs qui pensent toute lutte radicale comme une immaturité romantique, nous cachent l’enjeu intellectuel et politique réel : comment articuler ensemble de manière organisée, avec des cibles appropriées, la négociation et la lutte. » (p. 266)

Ou encore sur l’exploitation délocalisée :

« Une interdépendance entre usages humains et vivants d’un territoire implique toujours, c’est une condition nécessaire, qu’on habite le milieu qu’on exploite. C’est là que les intérêts de l’exploitation seuls peuvent être bousculés, parce qu’en habitant, on est contraint de vivre parmi les effets de son exploitation et, conséquemment, de sentir ses effets sur les interdépendances. Il n’y a pas d’interdépendances hors sol. » (p. 265 – 266)

Épilogue : Les égards ajustés

« Notre époque de crise écologique systémique est un temps où sont remises en jeu les relations envers les animaux, les végétaux, les milieux. Ces relations doivent être réinventées. On peut pour cela se laisser affecter par les traditions animistes, étant établi que leurs relations aux altérités vivantes sont plus riches que les nôtres. Mais je doute qu’embrasser aveuglément la cosmologie complète de peuples amérindiens, dans une sorte de conversion de masse, constitue une solution adéquate à notre situation. » (p. 279)

Fantasmer naïvement un autre temps, un autre lieu, une autre culture ne nous aidera pas à résoudre les problèmes (ou a minima atténuer et s’adapter aux effets) de la crise écologique systémique actuelle.

L’épilogue résume le cheminement et synthétise à merveille le contenu de ce livre – mais je ne pense pas qu’il puisse être lu sans tout ce qui précède.

Il donne des pistes pour enfin trouver notre place parmi les vivants, pour composer avec toute la toile du vivant. Devenir enfin diplomate avec nos semblables. Ni sacraliser, ni réifier. Ne plus considérer un milieu, un animal, une plante, un humain, comme un simple objet, une simple ressource à exploiter.

L’autre est un je.

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