François Jarrige, « Technocritiques. Du refus des machines à la contestation des technosciences »

« Le temps où on pouvait affirmer avec confiance que la croissance économique et son cortège de technologies annonçaient le bien-être universel – malgré les accidents et inégalités qui ponctuaient le chemin – semble bien révolu. » (p. 348)

Coupons court tout de suite à un préjugé tenace : Non, la critique des techniques n’est pas nécessairement technophobe. Oui, elle a pu l’être, mais cette démarche n’est ni représentative des technocritiques dans leur ensemble ni très intéressante. Pour le dire autrement, les critiques de LA Technique (au sens abstrait du concept) en général n’ont tout simplement pas de sens.

Les technocritiques les plus pertinentes et les plus répandues sont avant tout d’ordre social, politique, environnemental et économique.

On pourrait dire finalement que l’enjeu principal c’est : qu’est-ce qui permet l’émergence, le développement et le maintien de certaines techniques plutôt que d’autres, au profit de qui, et avec quelles conséquences ?

C’est ainsi que, loin d’une critique technophobe des techniques, les penseurs des low-techs (des philosophes aux ingénieurs) réfléchissent plutôt à d’autres formes de techniques. Moins capitalistiques, moins inégalitaires, moins gourmandes en ressources et en énergies, et moins impactantes pour l’environnement.

C’est aussi la surconsommation d’objets techniques à l’utilité douteuse (notamment sociale) mais à l’empreinte écologique bien réelle qui est visée dans les technocritiques. C’est pourquoi on retrouve nécessairement la critique des techniques dans le concept de décroissance (voir les ouvrages de Serge Latouche déjà recensés sur le blog : « Les précurseurs de la décroissance. Une anthologie » et « La décroissance »).

Qu’avons-nous laissé passer comme opportunités avec nos technologies ? Voici la critique qu’un colon faisait des populations Africaines ; et pourtant… « Lorsqu’elles [sont] adoptées, les améliorations technologiques [servent] tout au plus à chaque famille, non pas à produire trois fois plus, mais à travailler trois fois moins pour le même résultat .» Pourtant, « on sait désormais que la question était mal posée. Les populations paysannes connaissent en réalité de nombreuses techniques, et si elles ne les exploitent pas complétement, c’est moins à cause de l’ignorance des hommes que des contraintes écologiques et d’un « choix économique » conscient lié au fonctionnement interne de ces sociétés ». (p. 185)

(p. 310)

Pour finir, à ceux qui ne comprendraient même pas qu’on puisse critiquer les techniques (mais surtout tout le cortège des problèmes sociaux, politiques, environnementaux et économiques qui vont avec), je répondrais comme Bernanos : « Oh, sans doute, je sais que plus d’un lecteur accueillera en souriant un tel aveu. Que voulez-vous ? C’est très embêtant de réfléchir sur certains problèmes qu’on a pris l’habitude de croire résolus ». (p. 225).

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